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La montagne, une sentinelle expressive du changement global

Gergovie, décembre 22

Le changement global n’est pas une crise parmi d’autres. Il transforme en profondeur nos manières d’habiter et déstabilise les modes de vie hérités de la modernité. Il affecte nos repères, nos attachements, nos régimes d’action. Tous nos rapports au monde sont concernés : rapport à la géosphère, à la biosphère, à la sociosphère, à la noosphère, mais aussi à la phainosphère — cette sphère des formes sensibles, de l’apparaître, des manières de percevoir et de rendre le monde habitable. Ce bouleversement appelle une réorientation culturelle de nos façons d’aménager. Il est devenu impossible de penser une transition écologique des territoires sans intégrer cette dimension sensible, souvent négligée mais pourtant centrale dans les mutations en cours.

Les territoires de montagne rendent visibles, parfois plus tôt qu’ailleurs, les effets du changement global : recul des glaciers, fonte du permafrost, glissements de terrain, sécheresses, tensions autour de l’eau, crises agricoles, fragilisation du pastoralisme, perte d’attractivité touristique, vieillissement démographique, déstabilisation culturelle. Mais la montagne révèle aussi les limites du modèle d’aménagement hérité de la modernité. L’ingénierie ne suffit plus à maintenir l’habitabilité. Les réponses sectorielles s’épuisent. Ces territoires jouent un rôle de sentinelle : ils montrent que le cadre d’action lui-même est devenu inadapté et qu’il faut le repenser. La montagne oblige à faire face à ce qui ne tient plus, à ce qui vacille, et à reconnaître que le projet moderne n’est plus opérant sans transformation de fond.

Ce basculement ne produit pas seulement de la difficulté, il génère un trouble — au sens proposé par Donna Haraway : une mise en question de nos régimes de savoir aussi bien que de nos régimes de sensibilité. Les habitants n’adoptent pas une posture abstraite. Ils éprouvent concrètement la perte d’habitabilité, la transformation des saisons, la disparition de repères, le renoncement à ce qui faisait attachement. Ils ressentent un déplacement du monde autour d’eux. Dans le Plan stratégique d’adaptation au changement climatique du Massif central, par exemple, qui vient d’être réalisé par l’Agence d’urbanisme Clermont Massif central avec le Commissariat de massif et adopté en mai 2025, ce trouble est apparu clairement : à travers les conflits d’usage, les inquiétudes liées à l’eau, les déséquilibres saisonniers, les mutations agricoles, c’est une perturbation profonde qui s’exprime — que l’on ne peut ni contourner, ni réduire à une réponse technique. Ce trouble peut conduire à la sidération — dans le sens qu’en donne Marielle Macé : une impossibilité à agir, une suspension. Mais il peut aussi ouvrir sur une réouverture du sensible.

Face à ce trouble, l’enjeu est de rendre sensible : non seulement ce qui est perdu ou en train de disparaître, mais aussi ce qui commence à apparaître. L’art et la culture permettent d’exprimer ce qui ne trouve pas sa place dans les cadres habituels du discours ou de l’expertise. Elles rendent visibles les fractures, les désajustements, les vulnérabilités. Mais elles permettent aussi de faire communauté, en forgeant des éprouvés partagés face à ce qui bascule. Elles ouvrent des lignes de fuite, des opportunités de dépassement : non pas pour lisser ou atténuer, mais pour transformer le trouble en point d’appui. Elles offrent enfin un champ d’expérimentation. Ernst Bloch parlait du présent comme d’un temps inachevé, traversé de virtualités latentes, de « pas-encore ». C’est dans cet inachevé que surgissent des utopies concrètes : non pas des idéaux lointains, mais des manières de faire, de vivre, d’habiter, à essayer ici et maintenant.

Comme l’écrit Baptiste Morizot, le trouble n’est pas seulement une perte. Il engage un travail d’enquête, de pistage, pour élargir le sensible et rendre de nouveau disponible ce qui compose nos milieux de vie. Il s’agit d’un déplacement de notre attention. La modernité a produit une indisponibilité à une partie du monde naturel. Elle a rompu les relations de résonance avec les milieux. Aujourd’hui, une réouverture est possible : retrouver une capacité à sentir, à écouter, à répondre. Mais cette réouverture passe aussi par un nouveau partage du sensible, au sens de Jacques Rancière et de son esthétique politique : reconfigurer ce qui est visible, dicible, narrable, représentable. La phainosphère devient ici un espace à enjeux. Elle appelle à des postures d’attention, de soin, de réparation, de maintenance, de solidarité, de communauté, d’alliance, de lien. Donner place à des attachements, à des interdépendances, à des formes de vie longtemps invisibilisées. C’est dans cette perspective que les pratiques artistiques et culturelles ont un rôle central à jouer : expérimenter de nouveaux rapports au monde, de nouveaux régimes sensibles et d’attention, recomposer les milieux, tester des pratiques de soin, d’interdépendance et de lien.

Ce travail ne peut se faire sans politiques culturelles. Pas au sens sectorisé que la modernité leur a assigné — patrimoine, cohésion sociale, formation aux pratiques artistiques, production et diffusion d’œuvres — mais au sens anthropologique : la culture comme rapport au monde. Les politiques culturelles de l’habiter ne visent pas à préserver un héritage mais à travailler de nouveaux rapports au monde. Elles visent à faire émerger une culture dans laquelle les pratiques de l’aménagement et de l’urbanisme peuvent se réinventer. Elles permettent ainsi de replacer l’habiter au centre : non pas comme donnée, mais comme tâche à accomplir collectivement, dans un monde instable, vulnérable, en transformation.

Le projet de musée Émile Guillaumin, porté avec la communauté de communes du Bocage bourbonnais, pourrait en constituer une illustration parmi d’autres : l’intention n’est pas seulement de conserver le patrimoine local en valorisant la vie et l’œuvre de cet écrivain — témoin d’une ruralité précaire et militant engagé qui créa le premier syndicat paysan — mais d’activer cet héritage en imaginant un lieu qui transmet ses valeurs et ses combats, tout en contribuant à façonner un nouveau mode collectif d’habiter, plus juste et plus écologique, capable de relever le défi du changement global.

Travailler les attachements présents et futurs, porter attention aux vulnérabilités, régénérer le vivant, inventer des formes de solidarité écologiques, et adapter nos territoires de vie au changement global afin d’assurer leur résilience et leur viabilité. C’est dans cette perspective qu’une nouvelle culture commune de l’habiter dans le Massif central comme ailleurs peut émerger, et que ses acteurs pourront collectivement revendiquer et partager.

Une intervention de Stéphane Cordobes, à l’occasion de l’exposition Les bords de la terre, Aubervilliers, Poush, 24 juin 2025

Photo : © Cordobes, Gergovie 2022

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© Stéphane Cordobes 2025MINIMAL

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